
Le Journal de Joliette en gros caractères, à la une, le 4 juillet 2012, écrivait «Des enfants sourds et muets auraient servis (sic) d’esclaves sexuels», sur fond de photo montrant l’enseigne de la maison des Clercs de Saint-Viateur à Joliette. Quand on lit l’article, il n’est pas mentionné que des agressions ont eu lieu à Joliette même ou dans Lanaudière. On peut se demander pourquoi la Maison et la communauté à Joliette sont ainsi identifiés aux agressions sexuelles. Néanmoins, que les crimes aient eu lieu à Joliette ou à Montréal, que cela se soit passé il y a plus de trente ans, que ces Clercs viennent de Montréal ou d’ailleurs, cela n’enlève rien à la gravité ou à l’odieux des actes. Mais enfin, la Rédaction du journal a jugé qu’une demi-vérité suffisait pour bien vendre.
Cela me fait mal d’apprendre, encore une fois, que des hommes d’Église – je n’ose pas dire «hommes de Dieu» – se sont conduit d’une façon tellement inhumaine avec des enfants confiés à leurs soins et leur protection. Et plus encore, de s’être conduit en directe contradiction avec l’Évangile que leur communauté avait mission d’annoncer et de témoigner par leur exemple de vie. Cependant, pourquoi faut-il que la conduite de quelques-uns discrédite tous les Clercs? Le Journal de Joliette ne tombe-t-il pas dans le piège de Monsieur et Madame Tout le Monde en laissant croire qu’à Joliette aussi des abus et des agressions ont eu lieu? Je ne mÉtonne pas que l’Église ait tellement perdu la confiance des fidèles avec des demi-jugements comme celui-là.
Le journaliste et la Rédaction du journal supposent-t-il que nous, lectrices et lecteurs, sommes à ce point dépourvus de sens critique et de jugement pour au moins soulever des questions à propos de ces faits présumés? Aucune question dans l’article, que des faits allégués. Je ne doute pas de la probabilité de ces agissements: nous en avons vu la démonstration dans bien d’autres causes.
Et, pourtant une question se pose autant à la Rédaction du journal qu’à notre société en général. Pourquoi le silence de la communauté religieuse et, nul besoin d’aller chercher bien loin, dans nos propres familles, vis-à vis des abus et des agressions? Et pourquoi le silence est-il rompu seulement après tant d’années alors que les agresseurs sont morts ou très âgés? Allons plus loin que la sensation de la nouvelle. Oui, les supérieurs de la communauté portent une grave responsabilité. De même dans les familles, nos parents et grands-parents portent par leurs silences une grave responsabilité. Mais pourquoi ont-ils fermé les yeux? Comment se fait-ils qu’ils n’aient pas évalué avec justesse les torts causés aux victimes? J’oserai une réponse qui ne plaira pas. D’une certaine manière, cela sauvait la face, cela protégeait du déshonneur, cela arrangeait la famille, qu’elle soit religieuse ou non, et cela arrangeait bien du monde. Aujourd’hui, alors que nous pensons avoir un meilleur sens de l’honneur que nos devanciers, nous dénonçons, poursuivons en justice et demandons réparation pour des gestes commis par nos prédécesseurs.
Je risque une seconde question. Si nous avons un tel sens de l’honneur, pourquoi chacun et chacune garde-t-il silence sur des crimes qui se passent présentement et dont nous sommes collectivement responsables? Nos enfants et petits-enfants vont-ils attendre notre mort ou notre vieillesse pour demander justice et réparation? Souffrons-nous des mêmes maladies, peur du déshonneur, manque de clairvoyance, peur de perdre notre confort? Je vais en nommer quelques-uns de ces crimes contre les humains: la torture, la destruction de l’environnement, l’accaparement des ressources et des richesses. Ces nouveaux crimes dont je me fais complice par mon silence tuent aussi bien que les abus et les agressions sexuelles. Pourquoi ne lèverai-je pas le petit doigt? Et pourquoi donc, est-ce que je préfère le sensationnalisme du moment aux questions d’un moraliste? La réponse est simple: tout cela nous arrange bien. L’indignation est facile et commode dans les affaires d’agressions sexuelles. Un certain prophète a déjà dit: «Hypocrite, enlève d’abord la poutre de ton œil et alors tu verras assez clair pour enlever la paille de l’œil de ton frère.» Évangile de Matthieu, 7,5. Il est vrai que les bien-pensants de l’époque l’ont crucifié pour avoir dit cette parole et d’autres du genre. Avons-nous vraiment un sens moral plus élevé que ceux qui gardaient le silence autrefois sur les abus sexuels?
Combien parmi nous faisons partie d’une association qui dénonce ces crimes? Combien supportent, ne serait-ce que par une minime contribution, EauSecours, Amnistie internationale, Green Peace, la Fondation Gérin Lajoie, pour ne citer que quelques exemples? J’aimerais voir plus souvent à la une du Journal de Joliette des témoignages de personnes engagées dans des organismes qui luttent contre le mal commis par nous tous. Ça nous ferait du bien, n’est-ce pas? Mais serait-ce aussi vendeur?